Les personnes au cœur du design

Améliorer la performance et le bien-être des premiers intervenants grâce au design centré sur l'humain.

9 minutes

9th of July, 2024

Cet article a été initialement publié dans Thinkers & Makers, le magazine d'Akkodis dédié à la Smart Industry.

Imaginez le stress intense d’un premier intervenant arrivant sur les lieux d’un accident de voiture. Dans une telle situation, il est crucial que les outils destinés à sauver des vies et à soulager la douleur soient immédiatement accessibles et conçus pour remplir leur mission de la meilleure façon possible.

Cela concerne tant les équipements médicaux d’urgence – comme les kits de traumatologie et les défibrillateurs – que les outils numériques destinés à surveiller les blessés, à communiquer avec les autres membres de l’équipe de secours ou à obtenir une vue d’ensemble du lieu de l’accident.

Pourtant, ces outils numériques présentent un dilemme inhérent : à mesure qu’ils augmentent leurs capacités grâce à des volumes de données toujours plus importants, à une puissance de calcul accrue et à une connectivité haut débit, ils peuvent devenir de plus en plus complexes à utiliser. Trop d’options, trop d’informations et trop de clics peuvent nuire à l’efficacité de l’outil.

Pas de stress en plus

La complexité numérique peut accroître le stress, et c’est le dernier élément dont les premiers intervenants ont besoin en situation d’urgence. Au contraire, ils requièrent des outils intuitifs et faciles à utiliser.

Pour illustrer cette complexité, penchons-nous sur un dispositif indispensable en médecine d’urgence : le chariot d’urgence (crash cart). Conçu dans les années 60 par des infirmières et des médecins américains, exaspérés par le temps nécessaire pour rassembler le matériel lors d’arrêts cardiaques, ce dispositif a vu le jour grâce à l’initiative de l’infirmière des urgences Anita Dorr.

En 1967, elle réalisa, avec l’aide de son mari, un prototype dans leur garage. Ce chariot ressemblait déjà beaucoup à ceux que l’on utilise aujourd’hui – monté sur roulettes et regroupant en un seul endroit tous les équipements d’intervention.

Imaginez maintenant un « crash cart » version 2024, intégrant technologies numériques, écrans, capteurs, ordinateurs et téléphones portables. Concevoir un appareil aussi sophistiqué, tout en restant aussi efficace et intuitif à utiliser, représente un défi infiniment plus grand que celui relevé pour son prédécesseur des années 60.

Un tel dispositif ne peut être conçu efficacement qu’en impliquant directement ses utilisateurs. Ce n’est qu’alors que les ingénieurs parviendront à créer un outil qui fera réellement la différence, plutôt qu’une machine magnifique mais déconnectée des besoins réels.

L'humain au cœur du développement technologique

La solution au dilemme posé par les outils numériques et informatisés se trouve à l’intersection de l’ingénierie, de la psychologie, de l’anthropologie et des arts. Ce qu’on appelle le Design Centré sur l’Humain (HCD) vise à placer l’humain au centre du développement des nouvelles technologies. Comment ? En l’impliquant à chaque étape du processus.

Typiquement, la démarche HCD débute par l’observation des routines de travail et l’organisation d’ateliers réunissant utilisateurs et développeurs pour échanger idées et attentes. Ensemble, ils conçoivent des prototypes en carton illustrant à quoi pourrait ressembler un nouveau dispositif ou élaborent des maquettes numériques d’une application. Puis, ils développent des versions de plus en plus abouties, chaque itération étant soumise aux utilisateurs pour évaluation.

Pour certains, l’approche du Design Centré sur l’Humain relève du bon sens. Toutefois, à mesure que les systèmes interactifs se complexifient, les développeurs risquent de perdre de vue leur contexte d’utilisation. L’engagement direct et les méthodes de recherche utilisateur appliqués dans le cadre du HCD garantissent des solutions technologiques qui répondent aux défis et exigences spécifiques des utilisateurs, tout en tenant compte de leur ressenti face à la solution proposée.

City street with a policeman managing a drone

« Notre approche guidée par l’empathie nous permet de centrer notre stratégie et nos solutions sur de véritables besoins utilisateurs. Travailler en étroite collaboration avec les premiers intervenants a démontré à quel point la technologie offre une opportunité puissante pour améliorer à la fois les résultats opérationnels et organisationnels. »

Jeremy Dennis, Global Söze Product Owner, Akkodis Australia

La meilleure technologie est presque invisible

Jeremy Dennis, Global Söze Product Owner chez Akkodis Australia, travaille depuis plus d’une décennie dans le secteur des Services Publics & Justice (PS&J).

« Bien qu’il soit facile de succomber au charme de l’IA, l’adoption réussie de ces systèmes repose sur les principes du HCD : s’assurer que la technologie soit efficace et permette aux utilisateurs d’accomplir leur travail avec un minimum d’effort, » explique-t-il.

« Le système le mieux conçu devrait être presque invisible pour l’utilisateur final, dans le cadre de la tâche qu’il cherche à accomplir. »

Un exemple de cette approche est le travail mené par Akkodis avec les forces de l’ordre australiennes, qui a abouti à la co-conception de solutions technologiques primées répondant aux principaux défis opérationnels tout en allégeant les charges organisationnelles. Ces solutions contribuent également à préserver des environnements naturels précieux, tels que les zones humides et les dunes.

People on a street with their faces framed as if screened

Yarning et Söze

Ces solutions incluent l’application Yarning et la plateforme Söze.

Yarning, première application de traduction de langues aborigènes, permet aux agents de sélectionner et de transmettre des messages essentiels aux populations aborigènes dans leur langue maternelle. Elle favorise une communication significative entre les policiers et les locuteurs des langues aborigènes, tout en augmentant la sensibilisation aux enjeux importants au sein des communautés.

Söze, également développé en collaboration avec les forces de l’ordre australiennes, est une puissante plateforme d’analyse de données. Elle permet aux enquêteurs d’intégrer et de visualiser d’énormes volumes de données provenant de multiples sources et dispositifs, d’identifier des personnes d’intérêt ainsi que leurs relations, et d’offrir aux forces de l’ordre des capacités analytiques avancées. Cette approche améliore la sécurité publique en réduisant les délais et en minimisant les risques.

Grâce à Söze, certaines enquêtes ont pu être menées en une fraction du temps habituel. Dans un cas, 24 mois d’analyses ont été réalisés en seulement 6 mois.

Inspiré par ces partenariats avec les forces de l’ordre, Akkodis continue d’explorer comment obtenir des résultats encore plus positifs pour les agences d’application de la loi, dans le but de bénéficier tant aux équipes qu’aux organisations.

A police officer working on his laptop at police station’s desk

Une technologie au service des premiers intervenants

La technologie ne doit jamais constituer un fardeau ou un obstacle, surtout pour le personnel d’urgence confronté à des situations extrêmes où la vie est en jeu. Les premiers intervenants, souvent animés par un fort sentiment de mission et de désir de rendre le monde meilleur, n’apprécient pas que des outils ou des processus viennent entraver leur action.

La Dre Kristen Hamling, psychologue agréée forte de plus de vingt ans d’expérience et ayant travaillé en profondeur avec les premiers intervenants, aborde cette question dans sa thèse « Le bien-être dans les services d’urgence ». Elle y identifie le stress opérationnel et organisationnel comme des facteurs nuisibles au bien-être de ces professionnels.

« La technologie a beaucoup à offrir dans ce domaine, » affirme-t-elle.

« Réduire le stress organisationnel dans les milieux des services d’urgence nécessite une approche multimodale. Akkodis utilise les principes du HCD pour étudier comment la technologie peut atténuer certains éléments de ce stress, allégeant ainsi la charge pesant sur les premiers intervenants et leurs familles. »

Le HCD peut faire une énorme différence pour le personnel d’urgence et les autres acteurs de première ligne dans le secteur de la sécurité publique et de la justice. De plus, la technologie peut aider ces professionnels à accomplir un travail de meilleure qualité, à réduire leur stress et à améliorer leur bien-être avant, pendant et après les interventions.

Sensibilisation situationnelle

Lorsqu’ils arrivent sur les lieux d’une urgence, les premiers intervenants doivent rapidement obtenir une vue d’ensemble de la situation. Les drones, les robots et les systèmes de surveillance en temps réel peuvent grandement contribuer à cette prise de conscience.

Les véhicules aériens sans pilote (UAV) et les robots assistent les intervenants en leur fournissant des informations sur la scène de l’incident et en facilitant la communication dans des environnements dangereux, ce qui réduit leur exposition aux risques.

Les drones offrent une vue aérienne en temps réel, tandis que les robots peuvent exécuter des tâches telles que la surveillance, la recherche et le sauvetage, ou encore la manipulation de matières dangereuses. Ces systèmes transmettent également des données en temps réel aux centres d’opérations, optimisant ainsi la gestion des interventions.

A human hand with a phone with an open app

Améliorer la communication et la collaboration

Une communication efficace est cruciale en situation d’urgence. Des technologies telles que les systèmes de messagerie en temps réel, les applications mobiles et les plateformes de communication intégrées permettent un partage rapide et fiable des informations.

Cette amélioration de la communication favorise une meilleure coordination, des temps de réponse plus courts et renforce le travail d’équipe parmi les premiers intervenants, impactant positivement leur efficacité et leur santé mentale.

Sécurité physique

La technologie offre également de vastes opportunités pour améliorer la sécurité physique des intervenants sur le terrain. Équiper les premiers intervenants de dispositifs portables et de capteurs peut fournir des données en temps réel sur leurs signes vitaux, leur condition physique et leur exposition à des substances dangereuses.

Ces informations permettent de surveiller leur santé pendant les opérations, d’alerter les équipes en cas de risques et d’intervenir immédiatement si nécessaire.

Formation innovante grâce à la réalité virtuelle et augmentée

La technologie a énormément à offrir en matière de préparation aux incidents et de gestion du stress post-intervention.

Par exemple, les outils de réalité virtuelle et augmentée peuvent simuler de manière réaliste des scénarios à haute tension pour la formation des premiers intervenants. Cette préparation permet d’améliorer leur capacité de décision et leur gestion du stress lors de situations réelles.

Ce type de formation renforce non seulement les capacités d’intervention immédiate, mais contribue également à la résilience et au bien-être à long terme. Par ailleurs, ces technologies soutiennent la sensibilisation situationnelle et facilitent la communication en temps réel.

 A law-enforcement officer holding a phone

Support intégré pour le bien-être

Selon la Dre Hamling, la technologie peut être intégrée dans un système de soutien holistique destiné aux travailleurs des services d’urgence.

« Bien que la technologie doive venir en complément – et non en remplacement – des techniques traditionnelles de réduction du stress telles que l’exercice, la méditation ou la relaxation, il est pertinent d’explorer son rôle dans l’amélioration du bien-être, » explique-t-elle.

Conscientes de la nature intense du travail dans les services d’urgence, des technologies soutenant la santé mentale et le bien-être peuvent être intégrées directement dans le flux de travail des premiers intervenants. Les dispositifs portables et applications mobiles permettent une surveillance proactive de la santé, tandis que des plateformes telles que les services de télésanté et les conseils en ligne offrent un soutien accessible en matière de santé mentale.

Des dispositifs de biofeedback, surveillant par exemple la variabilité de la fréquence cardiaque, aident les utilisateurs à apprendre à réguler leur système nerveux autonome et à adopter un état de calme. Des applications de méditation, de pleine conscience, de respiration ou encore des environnements en réalité virtuelle peuvent également contribuer à instaurer une atmosphère apaisée.

Ce système de soutien global garantit que les premiers intervenants disposent des ressources nécessaires pour gérer leur stress efficacement et recevoir de l’aide dès que besoin est.

Pas limité aux premiers intervenants

Le concept de HCD place l’humain au centre de chaque étape du processus de conception, ce qui aboutit à des processus, produits, services et systèmes en phase avec les exigences et attentes spécifiques de leurs utilisateurs.

Mais l’utilisation de ces solutions ne se limite pas aux services d’urgence. Les principes du HCD peuvent également générer des bénéfices beaucoup plus larges pour la société et le monde de l’entreprise.

Dans le secteur privé, l’adoption des principes du HCD peut contribuer à réduire le stress organisationnel et à améliorer le bien-être des employés, tout en renforçant la performance des entreprises.

Les avancées rapides dans des domaines tels que la création et l’analyse de données, l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique, les processus automatisés et la modélisation prédictive, combinées aux principes du HCD, ouvrent de nouvelles perspectives pour optimiser les processus et renforcer le bien-être au travail. Akkodis a ainsi développé une approche HCD qui vise à garantir que le développement de solutions technologiques innovantes apporte des bénéfices tangibles – que ce soit pour des pompiers ou des directeurs financiers.

City skyscrapers seen from below upward