Des technologies innovantes pour améliorer la fiabilité des transports ferroviaires

Depuis 2021, Akkodis participe au projet GEARBODIES, financé par l’UE et lancé par le programme Shift2Rail - en collaboration avec 12 autres partenaires tels qu'EURNEX (European Rail Research Network of Excellence), UNIFE (European Rail Industry Association) et le CERTH (Centre for Research & Technology Hellas).

17 minutes

20th of February, 2024

Crédit image : http://www.gearbodies.eu/

 

Introduction :

Le programme Shift2Rail est la première initiative européenne dans le domaine ferroviaire à rechercher des solutions axées sur la recherche et l'innovation (R&I) afin d’accélérer l'intégration de nouvelles technologies de pointe et répondre à l'évolution des besoins de l'UE en matière de transport ferroviaire.

Le projet GEARBODIES a pour objectif de concevoir des trains de passagers plus légers, plus économes en énergie et plus confortables.

Figure 1 | GEARBODIES est un projet de 25 mois financé par l'entreprise commune Shift2Rail (JU) dans le cadre de la convention de subvention n° 101013296 avec 13 partenaires de 8 pays. Crédit image : http://www.gearbodies.eu/

 

Les partenaires de GEARBODIES ont conçu et prototypé plusieurs composants de train de roulement en élastomère-métal (WS2 – figure 1) adaptés à la production en série. Par ailleurs, ils ont exploré des technologies innovantes pour le développement de roulements à faible coût du cycle de vie (CCV), de nouvelles solutions de lubrification, de nouveaux matériaux pour les chemins de roulement et les rouleaux.

En outre, de nouveaux polymères pour les cages et les effets de nouvelles géométries de roulements ont été étudiés, parmi lesquels les plus réalisables ont été intégrés dans une nouvelle conception de roulement et prototypés.

GEARBODIES a mis en place une plate-forme modulaire innovante (WS1 – figure 1) permettant de réduire le temps d'inspection des coques de carrosserie de wagon en matériaux composites.

Sur ce dernier point (WS1 – figure 1), Akkodis s’est concentré sur l'amélioration des processus de maintenance, le développement de technologies non destructives innovantes et l'optimisation des systèmes d'inspection pour les futures carrosseries des trains.

L’équipe de Recherche et Développement appliqué d’Akkodis a dirigé le développement et la conception de la plateforme d'inspection robotique innovante intégrant des systèmes d'inspection thermographique et ultrasonique sur mesure réalisés par le CERTH et DASEL.

Cette plateforme permet d’optimiser la détection et l'évaluation automatisées des défauts sur toute l'épaisseur de la coque grâce à un module logiciel personnalisé à travers un algorithme de fusion de données développé par le CERTH.



Guillaume Rabouille, Chef de projet, et Sami El Basri, Responsable des activités mécatroniques, au sein du département Recherche et Développement Appliqué d’Akkodis nous en disent plus.

Guillaume, Sami, pouvez-vous vous présenter ?

Guillaume Rabouille : De formation Ingénieur en ingénierie mécatronique, robotique et automation - UPSSITECH- j’ai rejoint Akkodis en 2010 en tant qu’Ingénieur logiciel. Depuis 2017, j’interviens en tant que Chef de projet, workpackage leader, expert robotique, au sein du département Innovation et Recherche Appliqué d’Akkodis, sur des projets de recherche en robotique tels qu’Air-Cobot, COVR-SESAMS, …, et le projet européen GEARBODIES.

Sami El Basri : De formation Ingénieur en mécatronique et informatique industrielle, j’ai rejoint le département Innovation et Recherche Appliqué d’Akkodis en 2015, dans un premier temps comme Ingénieur R&D sur le projet Link&Go2,le véhicule urbain autonome et communicant d’Akkodis, puis en tant que Responsable des activités mécatroniques sur différents programmes et projets de recherche et innovation tels que le rameur connecté, …, et le projet européen GEARBODIES.

Quelle est la genèse du projet ?

[Guillaume] Comme cela a été le cas dans l’aéronautique et l’automobile, les matériaux composites sont de plus en plus intégrés dans l’industrie du ferroviaire pour leurs avantages en termes de coûts et d’empreinte carbone ainsi que flexibilité, performances et gain de poids structurel des trains tout en proposant une meilleure résistance aux températures élevées, à l’humidité, au feu ou encore à la corrosion, par rapport aux composants métalliques.

L’utilisation de matériau composite, devenue très courante, nécessite l’amélioration des processus de maintenance, le développement de technologies non destructives innovantes et l'optimisation des systèmes d'inspection pour les carrosseries légères des trains.

Les technologies d’inspection visuelle classique, en raison de la nature physique du matériel deviennent, par nature, obsolètes.

Pourquoi les technologies d’inspection visuelle classiques deviennent-elles obsolètes ?

[Guillaume] Les matériaux composites, utilisés dans une variété d'applications, subissent des déformations en profondeur, telles que la délamination et les fissures à travers différentes couches. Leur caractéristique unique réside dans la capacité de retrouver leur forme initiale, semblable au plastique d'un pare-chocs de voiture endommagé qui, une fois impacté, reprend sa structure d'origine, parfois sans signes apparents de dommages.

Cependant, une simple inspection visuelle, qu'elle soit basée sur des photographies ou des modèles 3D comme le démontre Air-Cobot, ne permet pas de détecter les dommages sous la première couche. Il devient impératif d'adopter des techniques permettant de sonder au-delà de la surface.

L'utilisation de l'ultrason (échographie) et de l'infrarouge (thermographie) se révèle essentielle pour identifier les dégâts en profondeur, tout en tenant compte des limitations identifiées dans le cadre du projet.

En plus d'offrir une résistance équivalente avec un poids réduit, les matériaux composites se présentent comme une alternative plus légère et durable par rapport aux matériaux conventionnels tels que l'aluminium et la fibre de verre. Ces avantages sont particulièrement pertinents dans l'aéronautique, le ferroviaire ou l’automobile, où des contraintes de résistance spécifiques sont imposées.

La légèreté des matériaux composites se traduit par une consommation moindre d'énergie pour une charge utile identique. En favorisant la durabilité, les besoins d'entretien sont significativement réduits. Dans les deux cas, les motivations sont ancrées dans des considérations économiques et durables, illustrant ainsi le potentiel révolutionnaire des matériaux composites dans divers secteurs industriels.

Dans une démarche R&D, nous avons conçu une plateforme robotique autonome permettant de manipuler avec précision les deux systèmes d’inspection développés par nos partenaires, tout en traitant les résultats.

Comment fonctionne cette plateforme robotique autonome ?

[Sami] Une inspection complète d’un wagon se faisant sur une journée entière et sur une distance de seulement 15m, il semblait judicieux de mettre à profit cette faible distance pour se brancher simplement sur le réseau électrique du bâtiment.

Nous avons toutefois mis en œuvre un système hybride ou des batteries peuvent permettre de déplacer la plateforme, en dehors des phases d’inspection.

Les mouvements de la plateforme et de ses équipements sont contrôlés par un développé en interne, de niveau industriel et utilisant Ethercat (Ethernet for Control Automation Technology) ce qui assure une répétabilité et une précision maximales.

De gauche à droite | Figure 2. Mobile Prototype Platform (MPP) en situation dans la CAO | Figure 3. MPP assemblée à Lyon, en train d'inspecter un échantillon composite dans la maquette de train | crédit image : Akkodis

 

Quelles ont été les défis et les contraintes à relever ?

[Sami] Afin de réaliser l’inspection de la carrosserie d’un wagon ferroviaire, plusieurs défis ont dû être relevés par Akkodis et ses partenaires sur ce projet, puisqu’il n’existait pas de technologies adaptées à nos besoins. Il était essentiel de tenir compte des dimensions du wagon, mesurant 13 mètres de longueur et 3 mètres de hauteur, sur une surface courbe d'une part. D'autre part, il était impératif de détecter des défauts millimétriques et de les positionner avec une précision inférieure au centimètre.

En ce qui concerne la détection, le défi était de développer des techniques d'inspection novatrices capables de repérer de manière fiable les défauts et les dommages tout en respectant des critères de performance de détection rigoureux. L’algorithme YOLOv5 a été utilisé pour cela, avec un apprentissage basé sur une base de données d’acquisitions réalisées dans des conditions de laboratoire par les partenaires CERTH et DASEL. Cela s'est avéré être un véritable défi technologique.

Quant au positionnement et aux déplacements des équipements d'inspection, la nécessité de mettre au point une plateforme capable de réaliser des contrôles d'inspections de manière entièrement automatisée et avec une grande précision s'est imposée. Ce développement représente une avancée majeure dans le domaine.

Les compétences variées des collaborateurs d’Akkodis ont été mises à contribution, englobant l'analyse des besoins et l'architecture système, la CAO combinée à l'analyse vibratoire et structurelle, la conception électrique et électronique, les automates industriels utilisant le protocole Ethercat pour communiquer avec les axes linéaires et les capteurs, ainsi que la robotique avec ROS2. De plus, le traitement d'image et de signal a été essentiel pour la reconnaissance et la détection des défauts. Ajoutez à cela l'indispensable huile de coude, nécessaire pour assembler et manipuler une plateforme robotique de 4 mètres de haut et pesant plus de 500 kg !

Figure 4. Schéma réseau utilisant ETHERCAT pour contrôler la plateforme| crédit image : Akkodis

 

Quels sont les bénéfices qu’apporte cette plateforme robotique autonome pour l’inspection ?

[Guillaume] La plateforme robotique propose une précision bien meilleure qu’escompté, notamment grâce à l’usage d’axes linéaires industriels pour la manipulation des équipements et de rails pour maintenir le parallélisme par rapport au wagon à inspecter, ce qui par ailleurs a drastiquement réduit la complexité logicielle de la partie robotique.

Toutefois, cette sur-simplification réduisant les capacités opérationnelles de la solution, nous nous sommes assurés pendant la fabrication de pouvoir revenir facilement à un système omnidirectionnel, capable de se déplacer librement autour du wagon, moyennant des développements logiciels supplémentaires et l’intégration de meilleurs capteurs pour la localisation, ce qui serait le plus grand défi de cette évolution.

La détection des défauts se basant sur les acquisitions par thermographie et par ultrason se révèle assez probante dans de bonnes conditions de laboratoire.

Ces deux techniques d’inspection nécessitent plus d’approfondissement avant de pouvoir être utilisées sur une inspection en conditions réelles. Pour ce faire, les fabricants de wagons ferroviaires en matériaux composites doivent évaluer la gravité des défauts possibles, ce qui nous permettrait d’affiner les réglages des équipements et algorithmes.

Actuellement nous avons effectué une évaluation de la capacité de détection, et des défauts de quelques millimètres sont décelables dans les couches supérieures, mais la partie interne de la carrosserie reste invisible à nos capteurs, la mousse isolante dans le composite jouant effectivement son rôle.

De gauche à droite | Figure 5, acquisition en cours par ultrason et thermographie | Figure 6, résultats de détection des défauts sur une acquisition ultrason (bandes concaténées de 25mm de largeur) | Figure 7. Résultats de détection des défauts sur une acquisition par thermographie (images de 30 par 40 cm concaténées) | crédit image : Akkodis

 

Quels sont les étapes suivantes ?

[Guillaume] Le projet est officiellement terminé. Nous avons une plateforme mobile fonctionnelle bien que basique et les contraintes initiales du projet ont été remplies, pour un budget de matériel inférieur à 35000€, ce qui est en soi une prouesse quand on voit les tarifs des robots du marché.

Toutefois, nous pensons pouvoir améliorer grandement l’automatisation de l’inspection complète du wagon, en commençant par augmenter celle de la plateforme mobile.

Un premier axe de recherche serait la communication entre ROS2 et Ethercat, pour directement contrôler les axes et roues et pouvoir utiliser des contrôleurs open-source déjà existants dans ROS2. Ceci serait évidemment plus intéressant combiné avec l’usage de roues omni directionnelles et l’addition de lidars 3D pour analyser l’environnement et s’y déplacer avec précision. La difficulté majeure de cette amélioration réside dans la grande complexité de se mouvoir avec une précision inférieure au cm sur une distance de 15m, sans repère fixe ni guide physique.

Le second axe de recherche serait sur l’algorithme de détection des défauts pour améliorer sa fiabilité et l’interprétation des bons défauts, notamment dans des conditions réalistes d’inspection, induisant des perturbations pour les capteurs – sources de lumière, mouvements de personnes aux alentours, saleté de la surface à inspecter. Cela serait à combiner avec une étude poussée du besoin pour déterminer la taille et la forme minimales des défauts à détecter et donc spécialiser l’algorithme sur ceux-ci.

Pour en savoir plus sur le projet GEARBODIES http://www.gearbodies.eu/